AҦCУAA  PЫБЖbbI

-------------------- D'Informations d'Abkhazie --------------------



 

 Improbable Abkhazie

 

Le port de Soukhoum, surmonté d'un immense drapeau abkhaze qui domine la Mer Noire.

Le port de Soukhoum, surmonté d'un immense drapeau abkhaze qui domine la Mer Noire.   L.Geslin/RFI

Par Jean-Arnault Dérens, L’Abkhazie, « perle de la Mer Noire », a fait sécession de la Géorgie, après la terrible guerre de 1992-1994. L’Abkhazie, 250 000 habitants sur un territoire de 8 600 kilomètres carrés, a proclamé en 2008 une indépendance reconnue par une poignée d’Etats, dont la Russie… Ravagée par la guerre, isolée, parfois présentée comme une zone de non-droit ou un véritable no man’s land, l’Abkhazie existe pourtant.

 

Pour se rendre en Abkhazie, il n’y a que deux frontières. Celle qui franchit la rivière Psou, vers la Russie, et celle de la rivière Ingouri, vers la Géorgie. Pour pénétrer dans le petit territoire sécessionniste, il faut obtenir au préalable, par courrier électronique, un accord officiel du ministère abkhaze des Affaires étrangères. Le visa n’est délivré que dans la capitale, Soukhoum : il s’agit d’une jolie vignette que les fonctionnaires s’abstiennent de coller sur les passeports des rares visiteurs étrangers. Ils savent que sinon les détenteurs des passeports en question ne pourraient plus jamais retourner en Géorgie.

Depuis la frontière de l’Ingouri jusqu’à Soukhoum, la route traverse des paysages de désolation : villages abandonnés, anciens sanatoriums soviétiques en ruine désormais recouverts par la dense végétation subtropicale du littoral abkhaze. Des monuments sont érigés à la mémoire des combattants abkhazes tombés durant les combats contre les forces géorgiennes. La guerre a fait plus de 8 000 morts. Dans un premier temps, les Abkhazes ont combattu seuls, n'ayant reçu que le soutien de quelques volontaires caucasiens, principalement des Tchétchènes, avant de recevoir finalement l'appui décisif de la Russie, qui choisit d'utiliser la sécession abkhaze pour affaiblir la Géorgie.

 

Aux abords de Soukhoum, la vie reprend peu à peu ses droits : les immeubles sont habités même s'ils menacent ruine, des cafés et des petits commerces poussent un peu partout. Le campus de l'Université d'Etat abkhaze domine la baie de Soukhoum. Les bâtiments, de style soviétique fatigué, portent aussi les séquelles de la guerre, mais près de 10 000 étudiants s'y pressent. Gudisa Tskalia étudie les relations internationales. Originaire de la ville de Gudautra, à une cinquantaine de kilomètres de Soukhoum, il rêve de devenir diplomate et de représenter son pays à l'étranger. Pourtant, l'Abkhazie n'est pour le moment reconnue comme Etat indépendant que par la Russie, le Nicaragua, le Venezuela et l'île Nauru – ainsi que par le petit « club » des autres républiques non reconnues, la Transnistrie, l'Ossétie du Sud ou la République turque de Chypre du Nord.

 

Seule frontière ouverte : celle de la Russie

 

Pour les étudiants, le principal problème est l'isolement de leur pays. L'Université de Soukhoum n'a de coopération internationale qu'avec la Russie et il est pratiquement impossible de voyager à l'étranger, même si les Abkhazes disposent aussi, pour la plupart d'entre eux, d'un passeport russe. Les pays européens, par exemple, refusent presque toujours d'accorder un visa aux ressortissants abkhazes. L'étranger accessible aux Abkhazes se limite donc à l'immense Russie.

 

La petite république est toujours frappée par un embargo proclamé par la Géorgie et appliqué par presque tous les pays de la communauté internationale. Le port de Soukhoum, surmonté d'un immense drapeau abkhaze qui domine la Mer Noire, accueille pourtant régulièrement des cargos en provenance de Trabzon, en Turquie. Ces navires sont supposés rallier Batoumi, en Géorgie, mais se déroutent en mer. La Turquie abrite en effet des centaines de milliers d'Abkhazes, descendants des réfugiés qui fuirent la conquête russe du pays, au XIXe siècle. Ces derniers forment un lobby important en Turquie, soutenant la petite république, mais bien peu envisagent de revenir vivre sur « la terre de leurs ancêtres ».

 

La présidence de la République abkhaze occupe un beau bâtiment du front de mer. Le Président, Sergueï Bagaptch, n'esquive aucune question : l'alliance privilégiée avec la Russie ne risque-t-elle pas d'étouffer l'Abkhazie ? Le pays n'est-il pas devenu un dominion de Moscou ?

 

Pour Sergueï Bagaptch, élu en 2005 contre le candidat soutenu par le Kremlin et réélu en décembre dernier, l'Abkhazie n'a pas d'autre choix. Toute la question est de savoir négocier un bon compromis avec le grand protecteur. L'Abkhazie accueille depuis 2008 deux bases militaires russes, soit quelque 10 000 hommes. Pour les autorités de Soukhoum, c'est une garantie de sécurité. « Pour la première fois depuis 1994, nos citoyens peuvent dormir en paix, sans craindre une attaque géorgienne », assure Sergueï Bagaptch. Le ton se tend : « Si l'Abkhazie est un protectorat russe, la Géorgie n'est-elle pas devenue un protectorat américain ? Et pourquoi le Kosovo serait-il reconnu comme un pays indépendant, et pas l'Abkhazie ? »

 

Les Abkhazes représenteraient aujourd'hui environ 45% de la population de la petite république, où vivent également des Arméniens, des Russes, des Grecs pontiques, mais presque plus de Géorgiens. Quelque 200 000 Géorgiens ont fui l'Abkhazie ou en ont été chassés après la guerre et, à Soukhoum, tout le monde est catégorique : un retour des réfugiés est exclu, « car cela signifierait une nouvelle guerre », comme l'explique Viatcheslav Chilikba, conseiller de la présidence.

 

Quelques touristes russes se prélassent déjà dans les hôtels reconstruits du front de mer, et l'Abkhazie espère bien redevenir la destination balnéaire chic qu'elle était autrefois. Pour l'instant, le gouvernement abkhaze, qui bénéficie depuis 2008 d'importants subsides russes, essaie avant tout de reconstruire les infrastructures, sans trop se préoccuper de la faible reconnaissance internationale du pays. Et les négociations menées avec la Géorgie sous l'égide des Nations unies sont au point mort. D'ailleurs, l'Abkhazie a obtenu, en juin dernier, le retrait de la mission de l'ONU et a récemment fermé son territoire aux observateurs militaires européens. « L'essentiel est de faire fonctionner notre Etat », assure Viatcheslav Chirikba, qui a représenté l'Abkhazie en Europe occidentale durant près de 15 ans. « Il finira bien par être accepté par la communauté internationale ».

 

01.06.2010  RFI