Depuis la frontière de
l’Ingouri jusqu’à Soukhoum, la route traverse des paysages
de désolation : villages abandonnés, anciens sanatoriums
soviétiques en ruine désormais recouverts par la dense
végétation subtropicale du littoral abkhaze. Des monuments
sont érigés à la mémoire des combattants abkhazes tombés
durant les combats contre les forces géorgiennes. La
guerre a fait plus de 8 000 morts. Dans un premier temps,
les Abkhazes ont combattu seuls, n'ayant reçu que le
soutien de quelques volontaires caucasiens, principalement
des Tchétchènes, avant de recevoir finalement l'appui
décisif de la Russie, qui choisit d'utiliser la sécession
abkhaze pour affaiblir la Géorgie.
Aux abords de Soukhoum, la
vie reprend peu à peu ses droits : les immeubles sont
habités même s'ils menacent ruine, des cafés et des petits
commerces poussent un peu partout. Le campus de
l'Université d'Etat abkhaze domine la baie de Soukhoum.
Les bâtiments, de style soviétique fatigué, portent aussi
les séquelles de la guerre, mais près de 10 000 étudiants
s'y pressent. Gudisa Tskalia étudie les relations
internationales. Originaire de la ville de Gudautra, à une
cinquantaine de kilomètres de Soukhoum, il rêve de devenir
diplomate et de représenter son pays à l'étranger.
Pourtant, l'Abkhazie n'est pour le moment reconnue comme
Etat indépendant que par la Russie, le Nicaragua, le
Venezuela et l'île Nauru – ainsi que par le petit « club »
des autres républiques non reconnues, la Transnistrie,
l'Ossétie du Sud ou la République turque de Chypre du
Nord.
Seule frontière
ouverte : celle de la Russie
Pour les étudiants, le
principal problème est l'isolement de leur pays.
L'Université de Soukhoum n'a de coopération internationale
qu'avec la Russie et il est pratiquement impossible de
voyager à l'étranger, même si les Abkhazes disposent aussi,
pour la plupart d'entre eux, d'un passeport russe. Les
pays européens, par exemple, refusent presque toujours
d'accorder un visa aux ressortissants abkhazes. L'étranger
accessible aux Abkhazes se limite donc à l'immense Russie.
La petite république est
toujours frappée par un embargo proclamé par la Géorgie et
appliqué par presque tous les pays de la communauté
internationale. Le port de Soukhoum, surmonté d'un immense
drapeau abkhaze qui domine la Mer Noire, accueille
pourtant régulièrement des cargos en provenance de Trabzon,
en Turquie. Ces navires sont supposés rallier Batoumi, en
Géorgie, mais se déroutent en mer. La Turquie abrite en
effet des centaines de milliers d'Abkhazes, descendants
des réfugiés qui fuirent la conquête russe du pays, au
XIXe siècle. Ces derniers forment un lobby important en
Turquie, soutenant la petite république, mais bien peu
envisagent de revenir vivre sur « la terre de leurs
ancêtres ».
La présidence de la
République abkhaze occupe un beau bâtiment du front de mer.
Le Président, Sergueï Bagaptch, n'esquive aucune question :
l'alliance privilégiée avec la Russie ne risque-t-elle pas
d'étouffer l'Abkhazie ? Le pays n'est-il pas devenu un
dominion de Moscou ?
Pour Sergueï Bagaptch, élu
en 2005 contre le candidat soutenu par le Kremlin et réélu
en décembre dernier, l'Abkhazie n'a pas d'autre choix.
Toute la question est de savoir négocier un bon compromis
avec le grand protecteur. L'Abkhazie accueille depuis 2008
deux bases militaires russes, soit quelque 10 000 hommes.
Pour les autorités de Soukhoum, c'est une garantie de
sécurité. « Pour la première fois depuis 1994, nos
citoyens peuvent dormir en paix, sans craindre une attaque
géorgienne », assure Sergueï Bagaptch. Le ton se tend :
« Si l'Abkhazie est un protectorat russe, la Géorgie
n'est-elle pas devenue un protectorat américain ? Et
pourquoi le Kosovo serait-il reconnu comme un pays
indépendant, et pas l'Abkhazie ? »
Les Abkhazes
représenteraient aujourd'hui environ 45% de la population
de la petite république, où vivent également des Arméniens,
des Russes, des Grecs pontiques, mais presque plus de
Géorgiens. Quelque 200 000 Géorgiens ont fui l'Abkhazie ou
en ont été chassés après la guerre et, à Soukhoum, tout le
monde est catégorique : un retour des réfugiés est exclu,
« car cela signifierait une nouvelle guerre »,
comme l'explique Viatcheslav Chilikba, conseiller de la
présidence.
Quelques touristes russes se
prélassent déjà dans les hôtels reconstruits du front de
mer, et l'Abkhazie espère bien redevenir la destination
balnéaire chic qu'elle était autrefois. Pour l'instant, le
gouvernement abkhaze, qui bénéficie depuis 2008
d'importants subsides russes, essaie avant tout de
reconstruire les infrastructures, sans trop se préoccuper
de la faible reconnaissance internationale du pays. Et les
négociations menées avec la Géorgie sous l'égide des
Nations unies sont au point mort. D'ailleurs, l'Abkhazie a
obtenu, en juin dernier, le retrait de la mission de l'ONU
et a récemment fermé son territoire aux observateurs
militaires européens. « L'essentiel est de faire
fonctionner notre Etat », assure Viatcheslav Chirikba,
qui a représenté l'Abkhazie en Europe occidentale durant
près de 15 ans. « Il finira bien par être accepté par
la communauté internationale ».
01.06.2010 RFI